Patients, médecins, qu’est ce que les nouvelles technologies ont changé pour vous ?
A ce titre du 3e carnaval des blogs médicaux, 2 réponses me viennent. D'abord, du côté patient, parce que moi aussi je vais consulter des docteurs quand je suis malade... (et quand j'étais plus jeune, et que je n'osais pas me faire des ordonnances toute seule !) Et puis aussi du côté soignant, même si je suis un "jeune" médecin, j'ai acquis certaines connaissances, habitudes qui m'ont fait avancer et devenir ce que je suis.
J'ai le souvenir d'un vieux généraliste que j'avais consulté il y a déjà pas mal d'années pour une belle rhinopharyngite compliquée d'otite, parce que mon médecin traitant était en congés cette semaine-là.
Il m'examine assez rapidement, me regarde à peine les oreilles... Je ne dis rien, mais je commence à devenir sceptique.
Il prend son ordonnancier en me disant que "oui, oui, effectivement, il y a une belle otite à gauche", et m'explique qu'il faut traiter par antibiothérapie. Bon, ok, je dois être en plein module d'infectieux, j'acquiesce en silence.
Il jette un coup d'oeil à son logiciel, peut-être pour confirmer qu'il me donne le bon médicament...
Je suis sortie de là avec un vieil antibiotique (une céphalosporine de 1ère génération), qu'a priori plus grand-monde ne prescrit.
N'allant pas mieux la semaine suivante, je suis allée voir mon médecin traitant, qui a bien ri de la prescription, en me disant que "son logiciel ne devait pas être à jour depuis bien longtemps"...
On comprend sans doute mieux l'intérêt de la formation médicale continue, histoire que nos médecins soient à jour des traitements ! Malheureusement, cette formation ne doit pas comprendre beaucoup de cours sur l'informatique... Dommage...
On a besoin des nouvelles technologies, mais mieux vaut savoir s'en servir à bon escient.
Maintenant, mon point de vue du côté face : moi, médecin.
Je suis partie cet été faire mon stage hospitalier à Dakar, et l'une des choses qui m'a le plus frappée est évidemment le manque de moyens, et le fait que le médecin ne dispose que de ses petites mains pour faire un diagnostic.
En France, j'ai pris l'habitude (une mauvaise ?) d'appuyer chacun des diagnostics qu'on suspecte par plusieurs examens complémentaires. Biologie, imagerie... soit pour "confirmer" le diagnostic, ou pour "éliminer" un diagnostic différentiel ou une urgence, ou encore "avancer" sur le diagnostic pour dépister les complications.
En Afrique, j'ai réalisé à quel point la clinique et la sémiologie sont primordiales. J'ai révisé, j'ai réappris et même appris des nouveaux gestes, des nouveaux signes cliniques spécifiques à telle ou telle maladie. Là-bas, très peu de moyens et pas de Sécu : c'est le patient qui paye tout. Avant chaque examen, même la plus minuscule des prises de sang, on doit aller demander l'accord du patient et de sa famille, en lui disant le prix de l'examen. Et s'il n'y a pas assez d'argent, tant pis.
On se base sur notre examen clinique, qui est le plus pointilleux que j'ai jamais vu, comme celui de l'époque de Trousseau... celui que nos anciens professeurs maîtrisaient parfaitement et essayaient en vain de nous inculquer en stage.
Tout passait par les mains, comme disait Mondor pour acquérir "l'intelligence de la main", pour toucher, palper, sentir chaque détail du corps pour en déduire la pathologie sous-jacente.
Aujourd'hui, l'examen clinique ne doit pas être banni de la pratique médicale, ou fait à la va-vite. Il est important pour guider les explorations nécessaires à effectuer. Il reste le principal outil pour faire un diagnostic de synthèse. La première impression, l'instinct, ou l'idée qu'on se fait sur un diagnostic qu'on est en train de chercher, tout cela passe d'abord par le contact direct avec le patient.
Les examens complémentaires portent bien leur nom : ils complètent ce qu'on cherche avec nos mains. On ne trouve que ce que l'on cherche, et on ne cherche que ce que l'on connaît...
Comme quoi, il reste fondamental pour nous, jeunes médecins, au milieu de cette ère d'examens paracliniques, de continuer à apprendre la sémiologie et la clinique au cours de nos stages hospitaliers. Pour devenir de bons cliniciens, mais surtout de bons médecins.
"La médecine est l'art de l'incertitude et la science de la probabilité" écrivait Osler... on a toujours besoin des nouvelles technologies, mais sans jamais oublier l'importance de la clinique.