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L'internat en général...
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15 novembre 2008

Emotion

     Il y a des gens, des histoires qui vous marquent.
On ne sait pas vraiment pourquoi. Peut-être qu'on s'identifie à ces personnes, ou alors on est fortement touché par leur vécu ?... Sûrement les deux à la fois.
Ce genre de rencontres a une dimension bouleversante, et émouvante. Une chose est sûre : elle marque.

    Ma première du genre dans mon nouveau stage est une jeune femme de 32 ans qui consulte pour céphalées. Je prends le dossier et l'appelle pour l'installer dans un box.
C'est une jolie blonde, habillée à la "working-girl". Elle n'a pas l'air trop douloureuse, mais il faut que je l'examine pour me faire une idée plus précise.
Déjà, un premier point m'interpelle : elle a les yeux rouges.
Grosse douleur ?

    Je me présente et lui demande de me raconter la raison de sa venue aux urgences. Elle me dit qu'elle a déjà vu la psychologue du service, qui l'a ensuite envoyée voir le psychiatre.
Ah. Bon.
Je me suis trompée, j'ai pris un dossier de psy ?
Je vérifie. Non, il y a bien écrit "céphalées" pour le motif de consultation.
Elle me montre l'ordonnance que le psychiatre lui a déjà faite : un anxiolytique pour ses angoisses, un somnifère et un antidépresseur.
Hum. Je ne me sens pas particulièrement à l'aise devant ce genre de traitement... Y a-t-il un rapport avec ces maux de tête ?

    Je lui demande donc enfin pourquoi l'infirmière d'accueil lui a proposé de voir la psychologue avant de voir le médecin.
Elle me raconte qu'elle traverse une période difficile depuis 3 ans, depuis le jour où son mari est mort d'un accident de la route qu'il n'a pas provoqué.
Elle me dit que le procès du responsable de l'accident vient de se dérouler, plus de 3 ans après les faits, et qu'elle a l'impression d'avoir replongé dans l'horreur du passé.
Elle essaie de garder le cap, d'aller travailler tous les matins, et surtout de s'occuper de ses gamins. 3 et 6 ans. Le petit n'a jamais connu son père, qui est décédé alors que sa femme était enceinte.
Les larmes ne cessent de couler sur ses joues pendant qu'elle me raconte son histoire atroce. Voilà ce qui explique les yeux rouges, elle ne peut entamer une phrase concernant son état de santé sans fondre en larmes.

    Je suis encore moins à l'aise qu'au début.
Je me demande bien quel mot je peux employer pour essayer d'atténuer cette souffrance intense qu'elle ressent depuis ce jour maudit, il y a plus de 3 ans.
Je lui demande timidement si elle a été suivie par un psychologue ou psychiatre après l'accident. Elle me répond que non, elle a été arrêtée 10 jours par son médecin, puis a préféré reprendre son travail et se noyer dans le quotidien pour tenter d'oublier.
Une fuite en avant, ça s'appelle. Ce n'est pas la solution. Même si cela semble être le moins difficile, c'est en réalité l'inverse, avec une incapacité à se reformer et à se reprendre en main.

    Je l'examine, vu qu'elle vient tout de même pour céphalées. Mon diagnostic aboutit à une crise migraineuse simple sans aura.
Je pense qu'elle a suffisamment de circonstances atténuantes en ce moment pour craquer et se taper une bonne migraine.
Comme, décidément, je ne suis toujours pas à l'aise, je préfère aller en parler à mon chef.
Il me dit que, de toute façon, aucun médecin ne peut être à l'aise devant des céphalées. C'est un de ces motifs de consultation foireux, qui nécessite un examen clinique soigneux et parfois des examens complémentaires, qui n'apporteront pas toujours un diagnostic final.
Il préfère venir voir la patiente, pour se faire une idée, et m'approuver dans ma démarche. Evidemment, avant d'entrer dans le box, je lui ai exposé le contexte de vie de ma patiente.
Il a été parfait, il a employé des mots justes, utilisés avec précaution mais avec conviction. Ma patiente n'a pu se retenir de pleurer, mais elle semble avoir été vraisemblablement touchée par son attitude, et peut-être - j'aime à le croire - par la mienne.

    Elle est repartie avec ses ordonnances, celle du psychiatre et la mienne, contenant des antalgiques. Elle est repartie également avec un nom de psychologue libérale, pour essayer de remonter la pente et se recentrer sur elle-même. Essayer de tourner la page, et de reconsidérer l'avenir. Elle, et ses enfants.

    Je suis restée songeuse le reste de l'après-midi. Je ne pouvais m'empêcher de repenser à son histoire. Elle était heureuse, à l'apogée de son bonheur, avec un enfant né et un autre en route, amoureuse. Et on ne sait pourquoi, tout a volé en éclat.
Je sais bien que personne n'est éternel, qu'il faut savoir profiter du moment présent...
Mais je ne sais expliquer pourquoi elle, pourquoi son histoire m'a touchée et bouleversée à ce point.
J'espère en tout cas qu'elle arrivera à trouver le courage d'être suivie par cette psychologue et qu'elle sortira la tête de l'eau.
Je l'espère sincèrement.


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Commentaires
T
ça me rappelle la patiente qui m'avait parlé de son viol (duquel elle avait eu un fils...), on oublie pas ce genre de moment ! on marche sur des oeufs, on espère ne pas dire des paroles blessantes malgré nous et manquer de tact... <br /> <br /> mais je suis sûre que tu as été parfaite :-)
L'internat en général...
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