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L'internat en général...
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25 février 2009

Histoire pas drôle

    Il y a parfois des histoires glauques au SMUR. Parfois des trucs traumatisants, des histoires vraiment pas drôles. Et ce qui change des urgences, c'est qu'on rentre en plein dedans, dans l'histoire pas drôle, parce qu'on rentre chez les gens, dans leur maison, dans leur propre histoire pas drôle.

    Chaque médecin ou futur médecin a sa propre histoire personnelle, ses propres histoires pas drôles. Chacun d'entre nous a ses peurs, les plus profondes, les plus irrationnelles, les plus névrosées. Mais c'est comme tout le monde.
Il faut essayer de mettre son propre vécu de côté quand on intervient chez les gens. Il faudrait qu'on oublie qui l'on est véritablement, qu'on n'ait plus d'histoire, plus de passé, plus d'émotions.
Il faudrait qu'on devienne des médecins-robots, avec nos tenues blanches et flash, dès l'instant où la régulation nous a appelés pour une intervention.
Paf ! Brutalement, on oublie tout, on oublie nos histoires pas drôles pour aller s'immiscer dans celles des patients en détresse.

    Bah moi j'ai une histoire pas drôle que je trouve glauque, qui m'a toujours mise mal à l'aise, mais sans pour autant que j'arrive bien à comprendre pourquoi. Personne de mon entourage n'a connu ce genre de traumatisme, et je n'en ai jamais vu non plus, mais voilà... c'est le truc glauque que j'appréhendais le plus de voir avec le SMUR.
Oublier mes peurs, mes névroses pour rester professionnelle et tenter de sauver le corps inanimé qui est tombé de 3 étages il y a 15 minutes.
Sauf que mon coeur bat la chamade depuis le coup de fil, que je me retiens de vomir durant le trajet en camion, et qu'arrivés sur place, mes jambes n'arrivent plus à me maintenir debout.
J'ai du mal à respirer, j'ai des nausées abominables qui me tiraillent le bide, mais il faut que je fasse bonne figure. J'enfile le fameux blouson flash qui fait que tous les voisins me verront à des kilomètres à la ronde, et je descends du camion.
Les pompiers sont déjà là, et sont en train de masser le patient.
Là, curieusement, il y a une petite alarme qui retentit dans ma tête. Peut-être est-ce mon alarme professionnelle, celle qui doit retentir quand on doit rester professionnel et ne pas se laisser submerger par sa propre histoire.

    C'est grâce à mon alarme intérieure que je trouve la force de descendre du camion et de marcher, ou plutôt tituber avec une démarche peu assurée, jusqu'au patient.
J'approche lentement, essayant de me préparer à cette future vision qui, j'en suis persuadée, me hantera encore longtemps.
J'entends de loin l'infirmier du SMUR me dire "ah bah enfin, un défenestré propre !". Je souris faiblement, et repère les buissons dans lesquels je pourrais courir si je finis par vomir tripes et boyaux.
J'ai envie de sauver ce patient, j'ai envie de le masser, j'ai envie qu'il reparte et qu'il reste en vie. C'est mon alarme qui me remet les pendules à l'heure dans ma tête, et qui fait que j'ai envie de nouveau, de faire mon métier.

    Le médecin du SMUR branche le scope sur le patient, et retrouve un tracé plat.
Les pompiers massent depuis déjà un bon moment, et la décision d'arrêter la réanimation se prend à quelques centimètres de moi. J'ai du mal à suivre les conversations, les explications, les raisons médicales à ces actes.
Je suis dans mon nuage, je tente de me raccrocher à mon alarme qui me maintient dans la réalité et qui me fait presque garder mon sang froid.

    Et maintenant, il faut s'occuper de la famille, des parents. C'est un jeune patient, handicapé mental, qui vit chez ses parents. Il s'agirait apparemment d'une chute accidentelle.
Les officiers de police judiciaire sont là et montent dans l'appartement avec les parents, pour leur expliquer toute les démarches administratives à faire.

    Me revoilà de nouveau avec la nausée. Et le corps du jeune ?
Tout le monde s'en balance ou quoi ?
Je ne comprends pas tout ce qui se passe autour de moi, j'essaie de me concentrer pour rester debout et ne pas succomber à ce vertige de plus en plus intense qui s'empare de moi.
On rassure les parents, d'accord. On leur raconte ce qu'il s'est passé, d'accord. On leur explique la suite des évènements, d'accord.
Mais pendant ce temps, on laisse le corps à moitié nu de leur fils par terre, sur le bitume, sans même une couverture pour le recouvrir.
Ou alors un gentil pompier lui aura mis une couverture, que je n'aurais pas vue, avec ma vision trouble.

    Voilà, j'ai connu mon histoire pas drôle du SMUR.
J'espère que ce sera la seule...
Je n'ai pas assez de force pour en voir d'autres. Pas assez d'expérience, pas assez de bouteille pour pouvoir rire de ces situations. Je sais que c'est une profession difficile, où le recul est nécessaire, et la dérision une arme incontournable.
N'empêche, j'y arrive pas toujours.

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Commentaires
T
défenestration ou pas (jen ai pas vu des défenestrés, enfin si, mais ils étaient vivants et tout cassés de partout), les ACR chez les gens, ça m'a marqué... je me souviens de mon 1er ACR, une vieille dame retrouvée par son fils au petit matin... on a réanimé, "pour le fils"... mais elle était déjà toute froide... j'avais mon corps qui flottait au dessus de moi quand j'ai dû la toucher !!!!! et à côté, il y avait le fils...
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