Etat de choc
Aujourd'hui, premier arrêt cardio-respiratoire de ma jeune carrière. Je n'en avais jamais pris en charge auparavant, je me demande même en avoir jamais vu tout court.
Il est 3h30 du mat', les urgences deviennent calmes. J'ai prescrit et récupéré tous mes bilans, je fais le nécessaire pour garder mes patients pour la nuit en faisant mes prescriptions pour le lendemain.
On a partagé la nuit assez tôt, et je dois aller dormir à partir de 4h30.
Si tout reste aussi calme, je vais peut-être pouvoir aller me coucher un peu plus tôt... Le pied !
C'est sans compter sur le patient qui est au déchocage et qui en a décidé autrement.
L'infirmière m'appelle pour venir le voir, car elle le trouve marbré, et aussi dyspnéique (difficulté pour respirer).
Bon, pas de souci, ça fait plus de 2 heures que je gère les urgences seule (^^).
Le seul problème, c'est que je ne connais pas le patient en question.
Il est venu pour malaise à domicile, a priori d'origine hypoglycémique. Il a été resucré, et est resté au déchoc pour surveillance, avant d'avoir un avis diabéto le lendemain.
C'est un patient désagréable, que les infirmières ont du attacher pour éviter qu'il arrache sa perf.
Lorsque j'arrive, effectivement il est marbré, des pieds jusqu'à l'abdomen. Tension artérielle encore correcte, mais il faut commencer le remplissage.
Il est dyspnéique et lutte pour respirer.
Etat de choc hypovolémique, associé à une détresse respiratoire aiguë.
Ok, je connais la pratique, je dois pouvoir gérer ça seule... du moins, pour le début de la prise en charge. Je n'oublie pas que j'ai un chef au bout du fil, qui viendra à la seconde où j'appellerais à l'aide.
A peine 10 minutes plus tard, je me dis que, finalement, je ne le sens pas, ce patient. L'infirmière me répond qu'elle non plus, elle ne le sent pas.
Mon chef réveillé, il décide de l'intuber, parce que, décidément, personne ne le sent bien, ce patient. Sans pour autant pouvoir expliquer pourquoi. Il vient à la base pour hypoglycémie, pourquoi il me fait l'état de choc aussi brutalement ?
Le réanimateur arrive à son tour au déchoc, au moment où mon chef intube. Je tente de participer à l'effervescence ambiante, et vérifie que la sonde d'intubation est bien dans la trachée, et non pas dans l'estomac. Sauf que je n'entends pas grand-chose dans mon stétho... Je préfère attendre l'avis auditif du réa pour conclure à la mauvaise position de la sonde.
Et c'est à ce moment crucial, qu'évidemment, notre patient qu'on ne sent toujours pas se met en arrêt cardio-respiratoire.
Branle-bas de combat. Les infirmières sont toutes au taquet, elles connaissent la procédure par coeur. Une va chercher le défibrillateur, l'autre prépare la seringue d'adré. L'aide-soignant super costaud a déjà commencé le massage cardiaque. Le réa s'occupe de réintuber.
Toutes ces petites fourmis qui s'agitent et qui courent partout... et moi, perdue, au milieu de ce bordel organisé, qui ne sais trop où me mettre ni quel rôle jouer.
Je palpe de temps à autre le pouls fémoral, histoire de participer un minimum.
Patient récupéré au bout de 5 minutes.
Transfert en réa.
Et voilà, tout est fini. Tout s'est passé vite, ça a commencé progressivement avec cet état de choc foireux que je diagnostique et tente de prendre en charge correctement. Ensuite, ça s'empire, de plus en plus vite, jusqu'à ce fameux moment où il faut débuter la réanimation cardio-respiratoire.
Et puis, après toute cette énergie, toute cette effervescence... plus rien, le calme absolu.
Et une petite interne un peu paumée, qui se remet doucement de son état de choc du petit matin.
C'est pas évident de trouver sa place du premier coup, au milieu de cette machinerie hospitalière bien rôdée, et bien organisée. L'interne des urgences ne joue pas un rôle fondamental, étant donné le nombre de médecins présents autour du patient.
Surtout lorsqu'il s'agit d'une première vraie prise en charge... Il y a toujours un moment de panique, une ou deux secondes d'affolement, où vraiment on ne sait plus trop quoi faire...
Heureusement que j'ai encore eu des compliments sur mon travail, par les infirmières. Après celle qui me croyait en 3e semestre, celles d'hier m'ont gentiment surnommée "super interne" en me noyant sous les qualificatifs d'efficace, de dynamique, de souriante,... et j'en passe.
Un petit peu de baume pour le coeur d'une jeune interne encore perdue dans la pratique d'urgence.