Rester jeune... sinon rien
C'est hallucinant de constater qu'on raye nos vieux de notre société.
Le pire patient qu'on peut recevoir aux urgences, c'est une personne âgée qui vient pour "altération de l'état général", c'est à dire en gros pour un placement.
Le médecin traitant n'a généralement plus le choix pour "sauver" la personne qui désire plus que tout au monde rester voire mourir chez elle, alors qu'elle ne peut plus subvenir à ses propres besoins même les plus basiques. Il adresse donc un courrier pour le gentil interne des urgences, en ajoutant parfois un symptôme, une fièvre, une confusion... ou une altération de l'état général.
Vaste question.
Le processus hospitalier commence donc.
Le passage aux urgences, qui dure des heures, assis sur un brancard inconfortable, au milieu du couloir, entre un jeune qui se tord de douleur pour une colique néphrétique et un autre psychotique qui se masturbe tranquillement devant tout le monde.
Un interne qui tente de raccourcir au plus ce transit dans ce monde de fou, et qui se cogne aux dures lois de la réalité des services hospitaliers : plus de 75 ans, c'est foutu.
Aucun service n'a envie de collectionner des centenaires, parce qu'après, c'est la croix la bannière pour trouver un soin de suite, une maison de retraite, ou encore un centre de convalescence. Trop de vieux tue le vieux.
T'es vieux, t'es grabataire, déjà tu pars mal. Si t'es au chaud dans ta maison de retraite, c'est déjà ça.
T'es vieux, t'es grabataire, et en plus tu te tapes un AVC hémorragique à 98 ans... t'es bon à foutre à la poubelle.
Tout le monde s'en tape qu'en fait tu ne sois pas vraiment grabataire, et que t'arrivais encore à marcher seul en déambulateur. Tout le monde s'en tape que t'étais encore à peu près lucide, et que la démence t'avait pour l'instant épargné.
Tout le monde s'en tape, parce que ton âge et ton diagnostic parlent pour toi : 98 ans, AVC. Point.
T'es foutu. Personne ne te massera si tu fais l'arrêt, pas d'acharnement. Ce que je peux comprendre.
Ce que je n'arrive toujours pas à avaler, c'est le fait qu'on ne te donne pas la chance et le droit de monter dans une chambre et d'être hospitalisé comme toute autre personne de moins de 98 ans qui fait un AVC.
Toi, on te met dans le couloir et on attend que tu crèves.
Culte de la jeunesse au sein d'une société qui se gérontolise, qui vieillit de plus en plus.
C'est pas juste.
Pas d'acharnement, ça non. Mais juste de la considération et du respect pour nos vieux.
Juste un minimum.